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 let heaven and men and devils • celso

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Graham S. Corinthe
Graham S. Corinthe
« we didn't start the fire »
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Date d'inscription : 09/04/2012

Personnage Incarné : Sisyphe

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MessageSujet: let heaven and men and devils • celso   let heaven and men and devils • celso Empty06.08.12 14:54



LET THEM ALL



Il appuya sur le bouton. L'interphone gémit un son liquide et aigu qui résonna à peine dans la matinée. À travers les barreaux du portail qui sentaient le fer humide, il apercevait dessiné derrière la pluie, la fenêtre de l’appartement des More. Des gouttes épaisses et douloureuses tombaient dans une grisaille à demi flottante, triste et blanche comme une fantasmagorie du ciel, et il avait courbé le dos par un réflexe qui ne le protégeait en rien de l’averse. L’odeur de l'humidité dans les rues qui lui montait à la tête, les nuages sales stagnant aux ciels, la demeure More entre la grille de métal, tout cela le figea quelques instants. Il appuya une fois encore sur l’interphone, le regard plongé vers l'intérieur du parc de la résidence. Il appuie. Il appuie. Il appuie.
Un déclic et une voix.

— Oui, la Résidence de Venice. À qui ai-je l’honneur ?
Graham. Monsieur Corinthe. J’aimerai voir Celso. Monsieur More. De l'appartement cinq.
— Bien. Je vous ouvre.

Et dans un grésillement, le portail se braqua pour s'ouvrir. Il entra dans le parc, traversa le sentier de graviers sans prêter attention aux arbustes rangés en bordure et soigneusement taillés ; ni aux peupliers blancs et élancés qui traçaient l’allée. Il pliait encore, courait presque, rompant son corps sous l'eau. Pourtant la pluie au ciel s’atténuait.
Le gardien vint lui ouvrir la porte de l’immeuble. C'était un homme plutôt jeune à la tendance austère et que Graham avait vu déjà, quelques fois. « J’ai annoncé votre arrivée à Monsieur More » avait-il dit avant de le laisser gravir rapidement les trois étages qui menaient à leur porte — puisqu’évidemment, Graham ne prenait pas l’ascenseur.

L'appartement était enfoui sous un long silence matinal lorsqu'il y entra. Il resta quelques minutes, cloitré debout dans le couloir, bougea un peu, fit quelques pas, avant de finir par s’installer sur le canapé d’entrée et attendit. Quelque part, une horloge sonna six heures : l'écho engourdissant se répercuta un peu avant de s’éteindre complètement entre les longues parois de l'appartement. Il attendit, la tête basculée sur le coussin de cuir noir, la bouche un peu ouverte, les yeux dressés vers le plafond haut. Il attendit, le regard posé sur les murs morts, à dévisager les meubles mille fois déjà dévisagés. Il attendit et soudainement il n'entendit plus rien. Plus d'interphone, plus de gardien, plus de paroles, plus d’horloge qui sonnait. Quelques silences. Plus rien. Il regarda cette bibliothèque qui se dressait, murale en face de lui et qu’on époussetait, et qu'on lavait, et qu'on vernissait mais que jamais on n'ouvrait. Il pensa à tous ces tapis sur lesquels plus personne ne marchait, tous ces lustres qu’on n’allumait plus, toutes ces pièces qui ne seraient jamais habitées, les balustrades jamais effleurées, ces tableaux que plus personne ne voyait et qui restaient pendus juste là, comme tombant des murs. À un moment même il cru s’endormir : ses paupières à moitié closes jetaient une obscurité incertaine qui crépitait entre ses yeux, assombrissant le décor d'un rideau irréel.
Un craquement le réveilla.

Il secoua sa tête, engourdi encore par cette demi-réalité. Les pas se déplaçaient, faisait geindre le parquet et il n'eut pas besoin de se retourner pour savoir que c'était lui qui marchait, mollement mais avec certitude. Il le reconnu juste. Il entendit une porte grincer et quelques pas, encore, dans le couloir. Il les compta. Et encore un grincement du bois qui gémi, tout près de lui, juste dans son dos, juste s'il tendait le bras. Il savait que Celso se tenait derrière lui, qu’il regardait un peu distraitement par la fenêtre, qu’il allait sûrement se faire un café. Qu’il ne prêtait pas attention à Sisyphe, assis sur son canapé. Graham pouvait sentir son ombre dans son dos, sa physionomie passer entre les meubles, son allure silencieuse toujours, et pourtant évidente.

Tu es occupé ? Ta femme est là ?

La parole était restée tamisé dans ses poumons, muette et égarée entre ses lèvres, comme un sourd qui n’aurait pu s'entendre et n'attendrait pas de réponse. Il savait qu'à cette heure-là, les gens sont plus occupés à ne pas être occupé mais il avait dit cela pour dire quelque chose, pour briser un silence qui n’existait pas — il n’y avait pas de silences entre Celso et Graham. Comme il n’y avait pas de « bonjour », de « comment vas-tu ? » : c’était trop inapproprié, presque déplacé entre les deux hommes.
Il y avait quelque chose pourtant. Il y avait quelque chose entre ces deux êtres qui demeuraient dans cette même pièce, à s'observer sans se regarder. Ça n'aurait pu être résumé à de grands mots, étouffé par de grandes phrases, jamais même de grands gestes. Ça devait autre chose, perdu entre toutes ces années où ils s'était connu, déstructuré puis reconstruit, comme un unique son qui les aurait suivi toujours, une seule note, une musique de fond. Graham qui balançait docilement sa tête, Celso qui mettait la cafetière en route, c'était quelque chose : invisible, innommable, là. Il fallait le voir juste. Il fallait voir Graham parler à Celso et Celso lui répondre. Il fallait les voir vivre, l'un à côté de l'autre, sans se parler, sans se toucher. Voir Celso payer la caution pour faire sortir Graham de prison. Il fallait le voir lui demander d’être le témoin à son mariage. Il fallait voir Graham accepter. Il fallait le voir.
Ils se ressemblait pourtant, l'un et l'autre. Ce n'était pas physique ; mais il y avait entre eux cette similitude des gestes, ces mêmes postures lorsqu’ils se tenaient debout, des mêmes allures dans leur façon de marcher, de mêmes intonations lorsqu'ils s'exprimaient, les mêmes tics de langages qui se mêlaient, des manies qui se copiaient. Ils avaient vécu ensemble, se tendant l'un à l'autre, se liant dans un même tracé, se reliant en un unique mouvement. Graham n'avait plus besoin d'être ce type vague quand il était avec Celso. Il n'avait plus besoin d'être lui-même. Il devenait un peu vulgaire, un peu moins de Graham, un peu moins de Sisyphe, un peu moins de rocher à rouler, de bonheur et d'éternité. Il était lui en tellement moins : il devenait Othello, de la même façon que Celso devenait Sisyphe. S'imitant l'un l'autre. Se devenant.
 
 

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