«L'art est un anti-destin.»

Comment avait-elle pu se retrouver là ? C'était une question existentielle qui trottait dans sa tête depuis une bonne dizaine de minutes. Mona soupira et avala une gorgée de sa flute de champagne, cherchant à vainement se changer les idées...mais rien à faire, elle ne pouvait s'empêcher de se demander ce qu'elle faisait ici. On était samedi après-midi et normalement...comme n'importe quel samedi après-midi, Mona aurait pu aller au cinéma, faire du shopping, peindre, voir Vin ou se disputer avec Vin et tant d'autres petits passe temps qui rythmaient sa vie alourdie par le poids de sa destinée. Mais non, il faut croire que tous ces petits hobbies avaient été relégués au placard car en cet instant Mona n'était ni dans un magasin à acheter un sa vintage ou une robe en soie, ni à étaler sa créativité sur une toile vierge et encore moins dans les bras de Vin. Non en cet instant la Joconde était à un vernissage d'un des nombreux amis et artistes de Vincente. Perchée sur ses talons, une coupe de champagne à la main, son autre main jouant avec sa jupe ou son chemisier, elle regardait avec une moue la toile qui s'étendait sous ses yeux. Quel ennui.

Pourtant Mona aimait l'art, elle avait toujours aimé les expositions ou les vernissages et n'avait jamais, ô grand jamais, rechignée à l'idée d'assister au vernissage d'un des nombreux peintres peuplant Cassandre. En tant qu'étudiante en art et en tant que fameuse Mona Lisa, elle avait toujours aimé échanger avec les artistes, observer leurs créations, admirer...mais là Mona n'avait ni envie d'admier ni envie d'échanger avec l'artiste en question qui faisait en cet après-midi dans l'Opéra Garnier, un buffet à la clé, son vernissage. D'un oeil, Mona se tourna vers l'endroit où se trouver Helen. Jane Eyre. Entourée d'amis, d'invités et autres artistes la félicitant sur son exposition, sur ses oeuvres...ça lui donnait envie de vomir. Aussi loin qu'elle se souvienne Mona n'avait jamais été en bon terme avec la réincarnation de l'héroïne de Charlotte Bronté. Pourtant avant de la rencontrer en vrai, la demoiselle ne l'avait jamais chargé de tous les vices de la Terre, jamais l'artiste n'avait éveillé sa jalousie ou son animosité...Non cette haine que portait Mona envers Helen s'était éveillée lorsque Vin les avait présentées l'une à l'autre. A ce moment là Helen était devenue l'ennemie numéro 1, en oubliant Noctem, dans la douce vie de Mona. Elle l'énervait au plus au point. Son caractère, sa personne, son talent, sa proximité avec Vin, son opinion sur Mona....ah tout énerver la Joconde chez elle. Tout. Elle avait rougi de colère et de honte lorsque Helen avait sous-entendu que Mona avait une relation avec Vin uniquement pour mettre en pied dans la sphère artistique qui régnait sur Cassandre. Mensonge. Et...ce vernissage, ses toiles...si elle n'avait pas eu un peu de bon sens, Mona aurait jeté sa coupe de champagne sur la nature morte qui s'offrait à ses yeux.

Elle l'énervait, elle la détestait. Elle ne supportait pas que cette femme soit si proche et complice de Vin. Elle ne supportait pas le caractère de Jane qu'il soit sur papier ou en chair et en os, déambulant dans les rues de la ville. Elle laissait le poison de la jalousie et de l'envie se distiller dans ses veines à chaque fois qu'elle voyait Helen. Ca l'horripilait de voir que cette fille peignait mieux qu'elle. Il y avait quelque chose de plus dans les paysages, les portraits ou les natures mortes qui s'offraient à ses yeux. Il y avait quelque chose de plus, d'impalpable qui sortaient de ces coups de pinceaux immortalisés sur la toile. C'est comme si ces tableaux avaient une âme...bien plus dense, complexe que celle des toiles que Mona avait pu peindre. Et ça la rendait malade. Malade de jalousie de voir que Jane était meilleure qu'elle, dotée de tant de qualité, de talent. Face à elle, Mona se sentait médiocre. Une moins que rien dont le destin était de poser pour un grand peintre et de finir abandonner de tous...jamais elle n'aurait assez de talent pour devenir le peintre qui immortaliserait les traits d'un modèle qui lui apporterait la gloire. Excédée, Mona s'arracha à la contemplation de la toile et s'en alla chercher vers le buffet de quoi à étouffer sa colère et les gémissements de son estomac.

Quelques canapés et sandwichs plus tard, Mona se promena de nouveau dans la grande salle, observant de nouveau les tableaux, cherchant à en capter leur essence. Soudain elle aperçu Helen, à quelques pas d'elle, ses doigts se resserrèrent presque inconsciemment sur sa coupe de champagne. Elle ne pouvait pas se dérober, faire mine qu'elle n'avait point vu l'organisatrice de ce vernissage. Ce genre de comportement capricieux et égoïste ne marchait qu'avec Vin...et encore. Il valait mieux que Mona cesse ses enfantillages et se comporte comme une grande personne : en une fille avec un tant soit peu de savoir vivre et capable d'avoir une conversation "aimable" avec la personne qu'elle portait le moins dans son coeur. Inspirant et jetant son insolence et sa fierté au placard, Mona s'avança un peu plus vers Helen, laissant un sourire hypocrite naître sur son visage.

▬ Bonjour Helen. Charmant vernissage, vos tableaux sont tous magnifiques. Je n'ai aucun doute sur la réussite de votre exposition.

Elle n'était qu'une menteuse, une pauvre idiote jalouse et envieuse. Bien trop éprise de son amant et crevant de jalousie à chaque fois qu'elle voyait des rivales. Bien trop envieuse d'une femme capable de donner vie à des peintures, de créer un souffle de vie, d'un coup de pinceau, sur une simple toile.

▬ Dites moi, comment faites vous pour réussir à rendre vos toiles...si vivantes ? Elles brulent de passion, d'une foule de sentiments...on a l'impression qu'elles ont une âme.

Mona laissa doucement sa voix mourir, tristement. Les toiles...vivantes ? Foutaise. Ce n'était que des instants figés à jamais dans le temps...jamais ils prendraient vie. L'art...donnait l'immortalité en échange d'une immobilité éternelle. C'était si triste. Si triste de voir une foule de visiteurs regardaient des yeux d'acrylique où s'échappait un reste de vie, un sourire à jamais figé restant une énigme pour le monde entier...car il avait été arraché à la vie pour une éternité sans mouvement. C'était si triste de voir la créativité bouillonnante qui s'échappait de ces tableaux. Elle n'était pas capable d'en faire autant...et ça la rendait tellement triste.

«L'art véritable est sans intention.»