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 hey, been trying to meet you — astrée

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Graham S. Corinthe
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MessageSujet: hey, been trying to meet you — astrée   hey, been trying to meet you — astrée Empty05.05.12 22:13


hey, must be a devil between us

Il y avait eu le soir doucement accumulé dans le ciel ; un crépuscule qui avait gonflé les nuages jusqu'à éclatement et le firmament avait fini par céder dans un déchirement. L'obscurité avait coulé sur les toits, suinté le long des murs, étirant les ombres, avalant le jour, grandissant encore. Il y avait eu le noir descendant, celui qui ne laissa d'abord que la simple trace de ses pas, puis l'empreinte était devenue une impact traçant des ecchymoses obscures, laissant ses blessures de pénombre empoigner la ville. Le monde entier était devenu ténèbres sulfureuses, la lumière tomba, emportant la couleur dans sa chute et ce fut la nuit.
Il n'aimera jamais Cassandre. Cette métropole qui tenait entre ses bras des milliers de sons, des milliers d'hommes et de femmes, des milliers d'heures, des milliers d'illuminations et ces milliers de milliers se mélangeaient en visages de visages qui se ressemblaient tous, s'emmêlaient en années qui passaient comme tant d'autres jours. Cassandre qui suffoquait son espace vital, avortait son identité, étriquait sa vie. Jamais il ne s'habituera au bruit des voitures ou au bruit des conversations ou au bruit. Jamais il ne s'habituera à la lumière artificielle, à la foule qui s'amasse sur la chaussée, à l'impatience, à l'odeur des bars. Graham était né dans le silence, il avait grandit dans la solitude, il mourrait aveugle aux autres. Il serait ici, toujours un étranger au sein même des étrangers.

Il avança le long d'une rue. A qui donc avait-il laissé son appartement déjà ? Friedrich, ou Alexi peut-être, il ne savait même plus. Mais il marchait tranquillement, les mains rentrées dans les poches ; il avait des gestes lents, bien prononcés comme s'il avait voulu pouvoir détailler chacun de ses pas en une multitude d'autres mouvements. Il s'arrêtait souvent, comme pris d'une étrange fascination pour un muret ou une plaque d'égout, dévisageait l'objet comme on dévisagerait un tableau, souriait parfois ou se mettait à rire, puis se remettait en route. Il lançait des coups d’œil dans tous les sens, comme s'il aurait eu peur de manquer un magnifique bout de trottoir, de laisser échapper un somptueux angle de maison ; il empruntait des rues sans issues et restait des minutes entières, immobile dans les impasses, comme une statue qui s'exercerait à être humaine. Puis il recommençait. Sans raison et sans fin, juste en pantomime étrange, attendant un on ne sait quoi qui ne viendrait jamais.
Il tourna à droite — ou à gauche — pour finir dans une avenue plus large qui s'ornait de lampadaires — ça devait être à gauche. Les lumières jaunies grésillaient dans le silence. Il leva la tête, mais de tous les côtés il était cerné par des immeubles qui s'étendaient à ses yeux et l'empêchaient de voir, de distinguer à travers la nuit. Il y avait un froid nocturne qu'aucun vent ne mouvait, qui restait juste suspendu sans bouger et qu'il perçait dans sa marche, avec son corps.
L'éclairage était âpre et triste comme tout ce qui existait dans cette ville et il s’apprêtait à bifurquer lorsqu'il aperçut la silhouette, en détachement de l'obscurité. C'était le dessin d'un corps tracé au milieu des ombres ; un contre-jour à la nuit. Au dessus, il y avait un vieux lampadaire qui clignotait dans un vibrement désaccordé, lançant par intermittence une lumière hasardeuse. Il n'apercevait alors le corps étranger que par saccades, à la fois dévoré par le noir et s'en détachant. C'était une femme fantomatique, une apparition ravalée dans les ténèbres pour aussi soudainement réapparaître.
Il s'avança vers elle, se mis à sa hauteur, et lui adressa un signe de tête entendu. C'était marrant, un peu bizarre, sûrement déplacé, un geste aussi familier envers quelqu'un qu'on ne connaissait pas.

Excuse-moi, je cherche la librairie. Ça fait des heures que je tourne en rond, je crois que je m'en suis bien éloigné à présent. On pourrait presque dire que je suis perdu.

Il se tourna vers elle. La lumière vacillante se tordait sur son visage étranger, imbibant ses traits de rides, la couvrant de froncements. Elle avait l'air contrariée. Sa respiration était rapide et chacun de ses souffles sifflés laissaient entrevoir un nuage de buée s'échappant de ses lèvres. Il la regarda avec ses cheveux tressés qui revenaient sur eux-même et ça le fit sourire ; mais le sourire se perdit dans le noir. Un vent jeune s'était levé avec l'arrivée d'un soupçon de clarté matinale. Une secousse passa sur son corps, un frisson qui secoua ses épaules, tomba le longs de ses bras et se perdit entre ses doigts. Il ne portait qu'une simple chemise sur lui et il avait froid. Les réverbères de la rue s’éteignirent.

Excuse-moi mais on est où là ?


Dernière édition par Graham S. Corinthe le 04.07.12 22:54, édité 1 fois
 
Astrée E. Atride
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MessageSujet: Re: hey, been trying to meet you — astrée   hey, been trying to meet you — astrée Empty11.05.12 22:11

« Je ne sais pas » souffla-t-elle. « Je ne sais pas du tout. »

Ce matin, il était déjà tard et je ne savais pas où aller. Personne ne m'attendait nulle part, et personnellement je n'attendais pas grand chose. Dans le doute, je suis allée prendre un bain. Bien sûr, cela n'a rien résolu. Ne m'étant pas noyée ni électrocutée, j'ai du trouver quelque chose à faire. Comme chacun le sait, l'oisiveté est mère de tous les vices, et je déteste les proverbes.
J'aurais pu aller voir des amis pour l'apéritif, mais par un hasard tout à fait fâcheux, je n'avais aucun ami. Il était beaucoup trop tard pour aller à la bibliothèque ; bien sûr il restait le café des noctambules, mais ce genre d'ambiance frelatée est une concentration de tout ce qu'il y a de poseur, de narcissique et de stérile dans l'âme humaine. Ma maison avait une odeur amère et les murs en plâtre le bruit de la déception. Alors je suis sortie.


La nuit était pesante sur chacun de ses pas qui se noyaient un à un dans des petits océans d'écho, partant du rien pour naitre dans le bruit et mourir en silence dans les rues attenantes. Elle avait mis son vieux chandail mais avait eu le temps de faire ses cheveux.
Elle s'arrêta d'un coup, à un craquement du à un chat. Sous les réverbères tout lui semblait différent ; et pour une fois elle tremblait un peu. Si elle finissait par faire une mauvaise rencontre ? Pour la première fois, elle sentit en frémissant qu'être Électre n'empêchait pas Astrée de vivre, et de se faire agresser dans une ruelle sombre. Cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas sentie aussi vulnérable, humaine, sans connaissance du destin. Elle se serait presque saluée elle-même, depuis le temps qu'elle ne s'était pas vue. Elle avançait sous les fenêtres, à la recherche d'une lueur qui lui dirait qui elle était ce soir où elle ne savait rien.
Au croisement de deux rues identiques, elle s’était figée, la tête vers le ciel. Mais même les étoiles ne pouvaient plus dire quoi que ce soit ; elles avaient l’air stupides.

L’homme ne ressemblait pas à tous les autres, comme la maison derrière lui était semblable à celles qui l’entouraient. Elle ne l’aurait pas dit de Cassandre ; il aurait pu être un étranger d’un autre pays, s’il avait pu, s’il y avait eu un monde au delà de Cassandre. Et pour Astrée quelque part c’était ça, cet inconnu en chemise dont elle voyait pour la première fois le visage avec une mauvaise lumière, dont elle tentait de deviner les traits, c’était un pays nouveau, intimidant ; c’était définitivement autre chose.

Elle frissonna.
« La librairie, elle doit être fermée. Je ne sais pas quelle heure il est, » elle le regarda comme pour s’excuser, « mais je sais qu’elle doit être fermée. »
Elle ne savait pas quoi lui dire. Elle n’avait jamais eu de conversation, maintenant qu’elle y était confrontée.

Et tout d’un coup il fit nuit noire, et elle cru réellement qu’elle allait y rester, au beau milieu de la nuit, perdue dans les forêts. Sans vraiment comprendre pourquoi, elle eu l’impression de faire une chute miniature du haut d’une montagne géante, les genoux se cognant l’un contre l’autre – jamais auparavant ne s’était-elle rendue compte de ce que cela avait de contraignant d’avoir des genoux. Sa main se crispa contre deux doigts, et elle fut trop gênée pour l’enlever ou raffermir sa prise sur cette possession nouvelle, cette main d’un autre, cette grande main d’homme dont elle imaginait les lignes et le contour. Elle souffla un peu de buée et regarda vers ses pieds. Ses yeux clairs mettaient toujours un certain temps avant de s’habituer à l’obscurité.
« Je suis désolée. » Astrée ne parvenait même pas à se donner pour toute contenance son éternelle rigidité. Pourtant elle avait le sentiment gênant que sa main à elle, et son être, étaient glacés. C’était en partie de cela qu’elle s’excusait. « Je voudrais partir d’ici, » commença-t-elle à mi-voix, « mais je ne sais pas où aller. Je veux dire que j’ai quelque part, mais que je ne veux aller nulle part. Pas seulement ne pas y aller, mais je n’ai pas besoin de quelque part d’autre. » Elle ravala sa salive. « Pardon. Tu ne dois rien comprendre, non ? » Ses pupilles toujours aveugles fixaient le lointain. « Ce n’est pas grave. En fait, tu sais, j’ai juste besoin de marcher un peu. Loin d’ici. » Si tu veux bien, si tu voulais bien marcher avec moi.

Perdue pour perdue, autant ne plus savoir,
avais-je trop couru, étais-je seule dans le noir ?
J’ai tout confondu, et je ne sais plus.
Peut-être que j’avais froid, peut-être que j’avais peur ;
je ne sais plus pourquoi, pourquoi battait mon cœur.


 
Graham S. Corinthe
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MessageSujet: Re: hey, been trying to meet you — astrée   hey, been trying to meet you — astrée Empty04.07.12 22:51



where have you been ?


Il avait l'impression qu'il était six heures du matin. Il avait l'impression que ça faisait tellement de temps qu'il marchait, tellement de temps qu'il longeait les mêmes murs emmurées de Cassandre. L'impression que les réverbères s'étaient éteints dans un autre siècle, peut-être même dans une autre vie. Ça fait tellement d"éternités qu'il se tient là, devant elle sans bouger. Presque sans oser respirer.

Je ne sais pas. Oui c'est vrai.

C'était tout ce qu'il avait pu dire lorsqu'elle lui avait fait remarquer qu'à cette heure-là, la librairie serait certainement fermée. Il la regardait un peu, la tête légèrement tournée, le menton penché, dans le coin de sa paupière. Il n'y avait qu'un léger mutisme entre eux, un simple silence qui ne le dérangeait pas. Mais il y avait aussi ce vide, ce creux intolérable qui les séparait. Il n'y avait pas un mètre entre eux mais c'était un espace de trop, un absence atroce entre leurs deux corps. Graham avait froid. Il avait si froid, et ses os se chevauchaient et ses membres tremblaient de toute cette froidure, se prenaient dans tant de sursauts douloureux. Il avait froid et ce néant à côté d'elle était insoutenable. Il aurait voulu s'approcher, remplir cette mutité suspendue près d'elle et qui les éloignait. Ses dents claquèrent lentement, comme si son être ton entier ne voulait plus de cet extérieur glacial, qui lui collait à la chair. Il aurait voulu remplir, il le fallait, il n'y a plus que cela à faire.
Il voulait dire quelque chose, il allait dire quelque chose de stupide, il allait dire n'importe quoi, comme toujours, la première chose qui lui viendrait à l'esprit ; des mots qui ne méritaient pas d'être dits, des phrases qui ne méritaient pas même d'être pensées. « En plus c'est jeudi aujourd'hui ». Il fallait remplir ce temps, il fallait utiliser ces secondes, il fallait à tout prix combler ce vertige. Il faisait juste tellement froid. Mais il n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit : déjà elle avait fait un pas brusque vers lui, vacillante soudainement elle disparaissait en un déséquilibre. Alors elle se rattrapa à lui, toucha sa main, sans la prendre non, juste là comme pour la reposer, elle avait juste mis sa main dans la sienne.

Oui bien sûr. Nous pouvons marcher. Bien sûr.

La phrase sonna comme une évidence dans cette rue à demi sombre qui s'éveillait. Il avait dit ça avec sa tranquillité habituelle, comme s'il pouvait, ne serait-ce qu'un instant, la comprendre. Comme si Sisyphe pouvait comprendre le moindre sens du moindre mot. Non il ne comprenait pas. Il ne comprenait pas cette main dans la sienne. Ni ce froid qui lui était apparu subitement tellement plus palpable. Ni cette nuit qui n'en finissait pas.
Il la regarda, il regarda ses cheveux châtains tressés, il regarda son chandail. Il y avait sûrement un endroit où elle se sentirait mieux, un lieu où elle appartenait et des gens quelque part qui l'attendaient. Mais il ne lâcherait pas sa main, pas plus qu'il n'arriverait à lui dire qu'elle devait rentrer chez elle.
Au loin, la cloche de l'église sonna et le son fit doucement trembler le jour naissant. Il ne trouva rien d'autre à ajouter. Il ne savait plus quoi dire ; il ne savait pas plus où aller. Ils marchèrent dans la rue, côte à côte plutôt qu'ensemble, accompagnés des maisons qui défilèrent pendant un moment. Ses mains tremblaient, sa peau froide se mêlait avec chaque mouvement à la paume chaude et étrangère qui frôlait ses doigts. Encore un instant, un pas de plus et il s'arrêta brusquement. Sa main s'échappa de celle de l'inconnue.

Il n'y a pas. Il n'y a pas un café d'ouvert à cette heure-là ?

Graham cessa là, dans l'ombre du jour qui se levait. Son corps se secoua dans un dernier spasme, encore un peu surpris par la brise matinale. Il n'y avait plus rien de la nuit : elle s'était éteinte derrière une aube bleu tandis que les premiers rayons s'apportèrent au matin, effritant les dernières ombres.

J'ai un peu froid, vous comprenez ?

 
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MessageSujet: Re: hey, been trying to meet you — astrée   hey, been trying to meet you — astrée Empty26.07.12 20:41

no choice now, it’s too late
life seems unreal, can we go back to your place ?
Bien sûr qu’il avait froid. Quelle idiote elle était, à cet instant précis, quand tout d’un coup la conscience son propre égoïsme la frappait. Soudain elle se sentit désemparée, affolée même, face à cet homme là, à l’incontestable présence de cet homme là à ses côtés, dont elle n’avait pas pris soin de remarquer qu’il ne portait qu’une chemise, et en dépit de la chaleur du bout de ses doigts, il était vrai qu’il devait avoir extrêmement froid. Elle aurait voulu que le jour ne se lève pas à cet instant, pour venir trahir cette honte confuse qui naissait sur ses joues creuses. Il s’était éloigné et elle l’avait regretté aussitôt ; si tôt rompu le contact entre eux, elle avait eu l’impression de le voir disparaître.
Dans sa tête, elle passa en revue les cafés qui étaient aux alentours : elle n’en trouva aucun, avant même de penser qu’à cette heure-ci il allait y en avoir autant que de librairies ouvertes. Pourtant, elle ne pouvait pas le laisser là, elle ne se le pardonnerait jamais ; elle en faisait une affaire de la plus haute importance, d’un seul coup, et le laisser là aurait été comme le laisser crever de froid. C’était inhumain, et surtout, ça lui était impossible.

« J’ai un appartement. »
Elle avait jailli comme un éclair hors d’elle et était redevenue elle-même, décidée un peu trop vite. Astrée prenait toujours toutes ses décisions trop vites, comme celle d’inviter un inconnu chez elle, au petit matin. A peine avait-elle eu le temps d’y penser qu’il fallait qu’elle s’empresse de se retourner vers lui, et de lui dire de la suivre, mais les mots entre temps étaient déjà devenus inutiles. « Venez », implora-t-elle, « je vous invite. »
Elle s’était mise à marcher devant ; elle marchait toujours devant, c’était une manière de prendre des décisions qui n’était qu’à elle : toujours un pas de plus que les autres, mais jamais deux. Elle marchait presque à ses côtés, ainsi, mais de ce pas de course haletant qui était le sien, et la nuit glissante, et le matin aérodynamique qui se fondaient autour d’elle.



Elle ne laissait jamais personne rentrer chez elle. Il n’y avait pas de raison particulière à cela, ou bien il y en avait trop : son appartement était en désordre, l’ombre de son frère trainait encore entre les murs, il y avait trop de choses qui était à elle éparpillées par terre et beaucoup trop de ces choses étaient à Électre, et puis les gens ne demandaient pas à venir chez elle, et elle ne leur proposait pas ; c’était ainsi. Elle n’avait pas conscience d’ouvrir pour la première fois une porte à un étranger, et ne mesurait pas ce que cela représentait, d’ouvrir cette porte-ci à cet étranger là plutôt qu’un autre.
« Je suis désolée », dit-elle dans l’entrée, en déposant précipitamment ses clés sur un guéridon, « c’est en désordre. Je ne range pas souvent. » En vérité, ça ne l’était pas tant, mais il fallait bien s’excuser de quelque chose. Il faut toujours s’excuser de quelque chose. Elle fit quelques pas pressés dans le salon, pour souffler sur une bougie qui finissait de mourir, tirer les rideaux vers le jour levant, ouvrir une fenêtre pour aérer, puis la refermer aussi vite de crainte qu’il ait froid. « Je vais faire du café », dit-elle entre ses dents, « faites comme chez vous. » Elle ne s’attarda pas sur ce que cette phrase avait de ridicule, si celui à qui elle s’adressait n’avait pas pour habitude chez lui de lire le code civil, le code pénal, et les choéphores.
Passant à la cuisine, elle resta perturbée un instant par le manque de vaisselle sur ses étagères, prouvant qu’on n’avait jamais vécu ici à plus de deux. Sans se départir de son rythme énervé, elle fit bouillir de l’eau. Quelques minutes, puis elle versa deux tasses de café noir qu’elle posa sur la table. Avec gêne, Astrée s’aperçut que son invité était resté dans le salon, et avec la même démarche rapide, se posta dans l’embrasure de la porte, où la suivi le silence précédé de ses pas.
Ce qu’elle voulait dire resta entre sa gorge et ses lèvres. Il y avait quelque chose de curieux à voir cet homme qu’elle ne connaissait pas dans cette pièce pleine de tout ce qu’elle connaissait. Elle était prise au dépourvu, sentant qu’en marchant dans ce lieu si habité d’elle, il était quelque part entré en elle-même. Et néanmoins, elle ne pouvait pas dire qu’il n’avait pas l’air à sa place, avec la façon désinvolte dont il lisait le dos d’un livre trouvé là par hasard. Elle ne pouvait se l’expliquer. De manière prosaïque, elle pouvait dire qu’il allait bien avec le décor, comme un nouveau meuble va avec votre papier peint, mais sans se mentir, c’était autre chose que cela. En croisant son regard, elle fit un geste l’incitant à la suivre à côté.
« Je m’excuse, mais », dit-elle mortifiée encore une fois par son manque d’égards, « je crois bien que je n’ai ni lait ni sucre. » Parce que bien entendu, elle ne buvait que du café noir — c’était son genre d’intransigeance — et personne d’autre ne venait en boire chez elle. Dans la lente atmosphère du matin qui rosissait les murs par les carreaux de la fenêtre, elle s’assit soudainement sur sa chaise, où elle resta droite et raide à sa manière. Plus que jamais, elle se sentait gênée, gênée par tous les moments de la soirée où elle s’était sentie gênée de ne pas avoir remarqué qu’il avait froid, de l’avoir amenée chez elle au risque de passer pour une fille de joie, de ne pas être l’hôte idéale, de n’avoir que du café noir alors qu’il ne le buvait sans doute pas comme ça, d’être rigide et mal à l’aise et confuse dans tout ce qu’elle disait, et toutes ses pensées voyageaient par pulsations jusqu’à ses tempes. Elle but une gorgée, et la tasse eu un bruit de crécelle quand elle la reposa un peu trop fort. Elle n’osa pas regarder son invité, même si elle aurait tout donné pour le dévorer des yeux, retenir le moindre détail de sa physionomie, lui arracher une quelconque part de son visage et la garder dans sa poche. Elle soupira. Pourtant, elle ne pouvait pas dire qu’elle ne se sentait pas bien en ce moment, aussi étrange fut-il.
 
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